Alizée Nogues

Gestion des déchets hospitaliers :  « Les établissements veulent agir mais ne savent pas vers qui se tourner »  

Alizée Nogues

Réduire les emballages à usage unique et améliorer la valorisation des déchets tout en préservant les impératifs d’hygiène et de sécurité des soins, tel est le défi que rencontrent les établissements de santé. 
La société From the Bloc spécialisée dans l’accompagnement des hôpitaux et cliniques, propose des solutions opérationnelles de gestion de déchets en tenant compte des spécificités de chaque établissement. Rencontre avec Julie Busnel sa fondatrice, ancienne infirmière de bloc reconvertie dans l’environnement. 

Comment est né le projet From the Bloc ? 

Julie Busnel – J’ai une formation initiale d’infirmière. C’est en exerçant au bloc opératoire que j’ai pris conscience de l’ampleur des déchets générés, notamment l’énorme quantité de dispositifs à usage unique utilisés. À l’époque, il y a 7-8 ans, les questions environnementales étaient moins prégnantes dans le secteur hospitalier. Après 10 années d’exercice, j’ai repris des études en environnement et travaillé deux ans pour l’éco-organisme Valdelia. Après cela, je suis retournée au bloc, et cette fois j’ai constaté que les mentalités évoluaient alors que les moyens et l’accompagnement manquaient. Les établissements voulaient agir mais ne savaient pas vers qui se tourner. Je me suis dit que c’était l’occasion de mettre ma double casquette à profit. 

En parallèle, Benjamin, mon associé, travaillait dans l’IT et cherchait à plus s’engager en faveur de la protection de l’environnement. Quand je lui ai parlé de mon projet, il m’a rejoint. Lui apporte la gestion de projet et la structuration commerciale, moi l’expertise métier. Nous sommes à temps plein depuis deux ans et avons fêté notre première année juridique. 

À qui s’adresse From the Bloc ? 

J. B. – Comme notre nom l’indique, le bloc opératoire constitue notre point d’entrée sur le marché. 20 à 30% des déchets hospitaliers en proviennent. Quand on optimise la gestion des déchets du bloc, on a déjà un levier d’action fort en termes de circularité. [ndlr : tous les établissements de santé ne comportent pas de bloc] Mais nous nous étendons à l’ensemble des établissements de santé, avec une appétence pour les établissements médico-chirurgical obstétrique (MCO). 

Quels sont les principaux déchets du secteur de la santé ? 

J. B. – Le secteur de la santé regroupe plusieurs typologies de déchets. On a obligatoirement les ordures ménagères et les DASRI (Déchets d’activités de soins à risques infectieux) qui regroupent matériels et matériaux piquants et coupants, produits sanguins à usage thérapeutique incomplètement utilisés ou arrivés à péremption, et déchets anatomiques. Au bloc, s’ajoutent les filières métaux et DEEE (déchets d’équipements électriques et électroniques) à usage unique, qui nécessitent une décontamination spécifique. 

Pour les emballages carton et plastiques, des poubelles de tri sont présentes dans beaucoup de services bien que pas encore généralisé. Un défi majeur concerne le verre médicamenteux. Celui-ci est différent du verre alimentaire car il contient des médicaments ou produits de contraste. On ne peut donc pas les mélanger dans la même poubelle. En termes de collecte et de recyclage, il n’y a pas de filière encore structurée. 

Côté gestion des emballages hospitaliers, quels défis les établissements doivent-ils relever ? 

J. B. – Le principal défi, c’est la variété des emballages. Pour une intervention chirurgicale, on a une multitude de dispositifs à usage unique avec des emballages très variés : plastiques souples ou rigides, transparents ou opaques, carton, verre, plastiques mélangés… Les soignants doivent identifier rapidement le type de plastique tout en gérant leur charge de travail et la traçabilité obligatoire. 

Les contraintes d’espace peuvent aussi freiner un tri efficace, particulièrement dans les petites cliniques où le mètre carré est compté. Comment réussir le tri à la source quand il n’y a pas de place pour multiplier les contenants ? 

On entend parler de standardisation des emballages, dans le domaine de la santé cela reste complexe. Chaque dispositif médical a ses contraintes de stérilisation, de transport et de stockage. En plus, tout comme dans l’industrie agroalimentaire, les fabricants d’emballages et/ou de produits médicaux emballés sont soumis à des autorisations de mise sur le marché et de certifications. 

Changer l’emballage primaire implique de nouvelles solutions de marquage soulevant ici les problématiques autour de la traçabilité et de la lisibilité des informations quant au produit de soin. Nous discutons beaucoup avec les fabricants de dispositifs médicaux sur ces sujets. 

Comment évaluez-vous la maturité du secteur sur les enjeux environnementaux ? 

J. B. –  Les questions environnementales sont de plus en plus connues. À la fois dans les hôpitaux, les blocs mais aussi les sociétés savantes de spécialités médicales qui s’emparent des sujets. La première société savante était la SFAR (Société française d’anesthésie et de réanimation). Ils ont poussé la question de la gestion des déchets notamment, je pense, en raison des gaz anesthésiants qui présentent un fort pouvoir réchauffant. Les établissements publics et privés mettent en place des comités « Green », les ARS (Agences régionales de santé) développent des appels à projets. Le ministère de la Santé a édité en 2023 une feuille de route de transition écologique
Les certifications de la haute autorité de santé (HAS) intègrent désormais des critères environnementaux obligatoires sur le tri des déchets et l’éco-conception des soins. 
Toutes ces initiatives impliquent la réunion de l’ensemble des parties prenantes pour avancer : médecins, infirmiers, experts logistiques et qualité, hygiénistes, etc. 

J’observe aussi que le principe des filières REP commence à être connu des fédérations hospitalières et de l’ANAP (Agence nationale de la performance sanitaire et médico-sociale), mais dans les petits établissements, les responsables logistiques ne savent pas toujours qu’ils peuvent accéder à des collectes à moindre coûts via les éco-organismes par exemple.  

Quelle est la méthode From The Bloc ? 

J. B. – Nous commençons par un diagnostic sur site pour identifier les filières existantes, les contraintes d’espace et les niveaux de maturité. L’objectif : trouver des processus stratégiques pour ne pas surcharger les soignants
Avec mon regard d’infirmière, j’analyse les consommables par spécialité pour orienter vers les bonnes filières de recyclage. Nous analysons les procédures avec les hygiénistes pour améliorer la décontamination et le déclassement de certains déchets médicaux. 
Nous privilégions l’extension des collectes avec les prestataires existants. Par exemple, nous travaillons aux côtés d’une clinique parisienne qui avait déjà un prestataire ESS (Économie Sociale et Solidaire) pour son “pôle boissons” distributeur de canettes et gobelets. Pour éviter une trop grosse charge de coût et de temps, nous avons étendu la collecte des flacons de sérum physiologique – du PET de qualité – auprès du même opérateur.  
Nous participons aussi à la sensibilisation des équipes et à la conception d’affichages clairs dans les services.  
C’est du sur-mesure : diagnostic, plan d’action, solutions adaptées aux contraintes spécifiques des établissements et leurs services.  

Vous encouragez l’éco-conception des soins, qu’est-ce que c’est ? 

J. B. – De la même façon qu’on peut éco-concevoir un objet ou un service en analysant tout le cycle de vie d’un produit, là on va se pencher soit sur un soin, soit sur un parcours de soins. Cela revient à évaluer le protocole d’usage, le matériel nécessaire, la décomposition des gestes, ou encore l’indication du soin pour les rationaliser et les rendre moins énergivores ou émissifs. On rentre ici dans des considérations médicales qui appellent l’avis et l’accompagnement des médecins. 
L’éco-conception du soin doit permettre de proposer un soin qui soit le plus neutre possible en termes d’empreinte environnementale, en garantissant toujours la sécurité et la qualité du soin pour le patient. 

Prenons par exemple un parcours de soin pour une opération de la main. L’éco-conception du soin consiste à réfléchir à la façon d’assurer plusieurs examens pour un seul déplacement du patient : radiologie, anesthésie, etc. Certaines consultations de suivi peuvent être réalisées en distanciel, des modalités d’anesthésie moins émissives à sécurité égale pour le patient peuvent être privilégiées, etc. 

Demain, comment concilier santé, économie et écologie ? 

J. B. – C’est un secteur en pleine prise de conscience, habitué au système D et à l’innovation. Quand on est soignant, on est confronté à des problèmes de ruptures de stock de médicaments et de dispositifs médicaux. Ce sont des contraintes et des enjeux dont nous nous saisissons pour continuer à prendre soin des gens. 
Je vois de plus en plus d’initiatives se développer, notamment des plateformes comme Mytroc-Pro qui proposent de la seconde main en interne dans l’hôpital pour du mobilier. Les soignants sont de plus en plus attentifs à ces questions. C’est un petit levier mais important : pouvoir se dire « je soigne les gens tout en prenant soin de la planète ». Cette idée rejoint le concept « One Health » d’une seule santé humaine, environnementale, et animale. 

Bien sûr, on ne peut pas écarter l’enjeu économique. Le secteur de la santé fait face à de lourdes contraintes budgétaires. Si on développe plus la circularité, un minimum de l’économie réalisée, et peut-être du bénéfice financier, peut être réinjecté dans la qualité de vie au travail ou l’amélioration de la prise en charge des patients. 
L’association Les Petits Doudous agit en ce sens en revendant des métaux hospitaliers qui ont de la valeur pour améliorer la qualité de vie des patients et les conditions de travail des soignants.  

Le mot de la fin : un conseil pour que la gestion des déchets hospitaliers progresse ? 

Les leviers d’action existent. Oui cela paraît complexe, la diversité des filières peut effrayer mais il y a des sources d’informations comme les fiches de l’ANAP qui délivrent des conseils, des recommandations, de bonnes pratiques. L’information est clé. Si tous les acteurs hospitaliers avaient conscience de ce qui existe en termes de REP et de moyens de collecte associés, ils pourraient réduire une partie de leurs coûts de gestion de déchets. 

Nous sommes vraiment dans cette quête d’équilibre, c’est pour cela que nous discutons avec le plus d’acteurs possibles, aussi bien des établissements de santé, que des fabricants d’emballages et/ou de produits de soin, et que d’éco-organisme comme Citeo Pro qui auront un rôle clé à jouer par la suite s’ils sont agréés.  

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